J’interviendrai le 31 mai dans le séminaire Le nouvel esprit de la psychiatrie et de la santé mentale : histoire, sociologie, philosophie, séminaire du Cermes3 sous la responsabilité de Pierre-Henri Castel, Alain Ehrenberg, Nicolas Henckes, Nicolas Marquis et Julie Mazaleigue-Labaste (105 boulevard Raspail, salle 1) sur la construction de la figure de l' »enfant pervers » qui fit partie intégrante de l’émergence de la psychiatrie infantile en France, à partir des sa genèse et des travaux de Georges Heuyer, fondateur de la neuropsychiatrie infantile française.
L’enregistrement de la conférence est disponible ici et la présentation d’accompagnement avec les sources ici (clic clic !).
Résumé et plan de l’intervention
La figure de l’enfant pervers est un des résidus de la naturalisation « bio-psychologique » du devenir social au prisme des idéaux sociaux et politiques de l’individu républicain sous la Troisième République. Ils expriment un libéralisme démocratique « à la française » marqué par une représentation différentialiste et naturaliste des performances individuelles, rapportées à des compétences conçues comme des aptitudes biologiques et psychologiques (démocratie des inégalités) ; la valorisation de l’adaptation, de l’intégration et du conformisme sociaux de l’individu, indexés sur ses compétences propres, devant être assurées par des politiques publiques et des projets institutionnels paternalistes (au sens de la théorie politique) ; une représentation de la société française auxquelles ces valeurs individuelles sont logiquement liées : une société à la solidarité organique (Durkheim) dont l’interdépendance des membres n’est pas seulement liée à la division et à la spécialisation du travail propres au capitalisme libéral du début du 20esiècle, mais aussi à leur appartenance à l’État-Nation (nationalisme républicain).
L’histoire de la figure de l’enfant pervers s’inscrit dans l’histoire longue de la construction d’un problème public (au sens de la sociologie politique des problèmes publics) : l’enfance inadaptée. Elle s’est construite dans une tension entre assistance et répression, dans les relations institutionnelles entre psychiatrie, système scolaire, système judiciaire et monde du travail. Entre les deux dernières décennies du 19e et le début du 20e siècle, un maillage institutionnel de plus en plus fin s’est mis en place autour des enfants d’âge scolaire (entre 6 et 13 ans), articulé avec les savoirs psychiatriques et psychologiques sur l’enfance, afin de répondre aux problèmes originaux issus de l’obligation de scolarisation (lois Jules Ferry). Cette dynamique a produit un nouveau type médico-psychologique et social : l’enfant anormal. Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, la construction progressive d’un continuum institutionnel et épistémologique entre l’enfance aliénée, l’échec scolaire, et l’enfance déviante et délinquante a permis l’émergence d’une psychopathologie infantile et de ses catégories de plus en plus affinées. Le type de l’enfant pervers chez Heuyer en a été un produit.
Périodisation : circa 1880-circa 1930. L’enfant pervers émerge par démembrements successifs et recatégorisation des éléments relevant de « l’arriération mentale » et des « perversions instinctives » au 19e siècle et au début du 20e siècle. Heuyer l’isole définitivement pour produire une figure du mal laïque et républicaine : celle de l’enfant à la malignité pure, irréductible, dont le pronostic social est pessimiste.
1. L’enfant arriéré et les idéaux démocratiques : du premier aliénisme au début des années 1880 (résumé). Portrait de l’ »idiot » : arriération native mais éducabilité.
2. L’enfant anormal et ses perversions instinctives (1880-1910) : genèse de l’enfance inadaptée
2.1. La nouvelle École de la Troisième République :le creuset d’un problème nouveau.L’obligation scolaire, moyen politique d’unification républicaine et réponse sociale aux conséquences du capitalisme industriel et de l’urbanisation massive : protection sociale de l’enfance, assistance, délinquance des enfants. Un nouveau problème apparaît avec l’obligation de scolarisation : une population d’enfants est inadaptée au système scolaire.
2.2. L’enfant débile et l’imbécille (sic) instable 2.2.1. L’enfant débile. Dégénérescence, arriération et perversions instinctives (Valentin Magnan)
2.2.2. L’imbécille instable. Un premier portrait de « l’instabilité mentale et motrice » (Désiré-Magloire Bourneville)
2.3. L’enfant anormal
2.3.1. La psychologie à l’école : anormaux asile et anormaux d’école. Binet et Simon, une double opération de naturalisation psychologique du social : compétences et développement.
2.3.2. Transformations institutionnelles. De nouvelles lois pour l’enfance anormale.
2.4. L’enfant dangereux :Ernest Dupré et la perversité constitutionnelle
2.4.1. La circulaire Chaumié : la dangerosité des anormaux
2.4.2. Ernest Dupré et les perversions constitutionnelles jusque 1912
(1) Dupré et la défense sociale : le destin pénal de l’anormal
(2) La doctrine des constitutions : organicisme et héréditarisme
(3) Les démembrements touchant le groupe des « anormaux pervers »
(4) La perversité constitutionnelle et l’individu dans l’Etat-Nation. Le pervers, un devenir presque fatal et un parasite du corps social.
3. L’enfant pervers chez Heuyer
3.1. L’enfant pervers en 1914 (thèse de Heuyer)
3.1.1. L’enfant anormal : les critères de l’adaptabilité et devenir social dans la définition des types cliniques. La relation logique du diagnostic et du pronostic : la question du rendement social de l’enfant et le libéralisme « à la française » (ordre social, conformisme dans la diversité des compétences, eugénisme spécifique).
3.1.2. Portrait clinique de l’enfant pervers
3.1.3. Les forces vives de la Nation : convergence entre politiques publiques et première psychiatrie infantile.
Avant la première Guerre Mondiale
Politiques publiques et nouvelles lois sur l’enfance après-guerre
3.2. L’institutionnalisation de la neuropsychiatrie infantile (1925- circa 1930) : évolution de l’enfant pervers
3.2.1. La clinique annexe de neuropsychiatrie infantile : conditions matérielles et institutionnelles de la clinique de l’enfant anormal.
3.3.2. L’isolation de l’enfant pervers
Procédures d’observation et raffinement clinique
Le problème du petit pervers doué
Enfant instable et enfant pervers : un resserrage du portrait de l’enfant pervers, qui apparaît alors comme un rebut mythique de la clinique neuropsychiatrique
3.4. L’enfant pervers, grand perdant de la prophylaxie mentale et rebut social
3.4.1. Triage et destin institutionnel : entre assistance, sélection sociale et répression
3.4.2. Un pronostic pessimiste : devenir délinquant et réponses disciplinaires
3.4.3. Une réponse thérapeutique ? L’enfant pervers et la psychanalyse
Conclusion
Heuyer et l’enfant pervers sous le Régime de Vichy, les mutations de l’assistance et de la prise en charge de l’enfance inadaptée après-guerre et l’effacement de la figure de l’enfant pervers dénoncée comme « mythique » (1950).
Discussion
Les commentaires sont fermés.